Genèse des effets toxiques
Les effets toxiques diffèrent selon la nature du toxique, l’organe cible et les mécanismes d’action impliqués. Ils résultent des interactions biochimiques entre le toxique et/ou son métabolite et les différentes structures de l’organisme. On distingue :
Effets non spécifiques : les structures cibles ne sont pas spécifiques, exemple : les toxiques corrosifs qui agissent sur tous les tissus en contact avec ces derniers.
Effets spécifiques : par action sur une fraction subcellulaire précise.
Sommaire
Article complet (PDF) : Genèse des effets toxiques
Classification des effets toxiques
Les effets toxiques peuvent être classés selon :
- Leur diversité
- Leurs organes cibles
- Leurs mécanismes d’action
Classification selon la diversité
Les effets locaux et systémiques : les effets locaux apparaissent au niveau du point de contact, exemple : action des caustiques sur la peau et les voies digestives, action des irritants sur les voies respiratoires et l’œil, tandis que les effets systémiques apparaissent après absorption et distribution des toxiques, au niveau des sites éloignés du point d’administration.
Effets réversibles et effets irréversibles : les effets réversibles disparaissent après cessation de l’exposition au toxique, cependant, les effets irréversibles persistent après arrêt de l’exposition ou peuvent même s’intensifier (mutations, cancers).
Effets immédiats et effets retardés : les effets immédiats apparaissent rapidement après exposition unique (caustiques, HCN au cours des intoxications aiguës), tandis que les effets retardés apparaissent après un temps de latence (cancérigènes, allergisants).
Effets morphologiques (nécroses, néoplasies) : ils peuvent être irréversibles fonctionnels (changements de la fonction d’un organe (foie, rein)) ou réversibles biochimiques tels que l’inhibition des systèmes enzymatiques.
Réaction allergique et réactions idiosyncrasiques : l’allergie est une forme d’hypersensibilité due à une intolérance acquise suite à une sensibilisation préalable par un toxique (Haptène). L’haptène établit une liaison covalente avec une protéine endogène dite porteuse et forme un antigène complet qui provoque une production d’anticorps. L’exposition ultérieure conduit à une réaction Ag-Ac (allergie). La réaction idiosyncrasique (intolérance naturelle) est une sensibilité anormale d’origine génétique à un toxique.
Classification selon les organes cibles
Les toxiques n’affectent pas tous les organes de la même manière, ils agissent spécifiquement sur certains organes (cibles) du fait d’une grande sensibilité de ces organes (composition chimique, caractéristiques biochimiques, capacité d’accumulation et de métabolisation), ou bien d’une concentration élevée du toxique à leurs niveaux (degré de perfusion, situation particulière par rapport à la voie de transport).
Exemples : le système respiratoire qui est la première cible des gaz et des vapeurs. Le foie et le rein qui assurent les fonctions métabolique et excrétoire, sont dotés d’une très large irrigation sanguine, ce qui leur rend très vulnérables et très sensible à l’action des toxiques. Les substances capables de traverser la barrière hématoencéphalique (BHE) ont une action potentielle au niveau du système nerveux central.
Classification selon les mécanismes d’action toxique
On distingue deux catégories de mécanisme d’action :
- Actions primaires
- Actions secondaires
Actions primaires des toxiques
Par interférence avec le transport d’oxygène par action sur l’hémoglobine :
Le monoxyde de carbone (CO) établit une combinaison avec l’hémoglobine et forme la « Caboxyhémoglobine » HbCO, l’affinité du CO à l’hémoglobine est 210 fois plus importante que celle de l’O2, le CO déplace l’O2 de sa combinaison HbO. L’HbCO étant incapable de transporter l’O2 vers les tissus, il va entraîner donc une anoxie. Dans l’HbCO le fer reste à l’état réduit (Fe2+).
Les méthémoglobinisants tels que les nitrites et les nitrates, après leur réduction en nitrites et certaines substances aromatiques nitrées et aminées, oxydent le Fe2+ de l’hémoglobine en Fe3+, la « méthémoglobine » est incapable de fixer et de transporter l’O2 aux tissus ce qui entraîne une anoxie.
La méthémoglobine est rapidement réduite et régénérée par des mécanismes physiologiques.
Les dérivés nitrés et aminés entrainent aussi l’apparition de sulfhémoglobine responsable de cyanose. La sulfhémoglobine est un composé très stable, la cyanose persiste tant que les globules rouges n’ont pas été détruits. À l’opposé de la méthémoglobine, la sulfhémoglobine peut fixer l’O2 à forte pression, car le fer reste à l’état réduit Fe2+.
La connaissance de ces mécanismes a suscité des applications intéressantes telles que la détermination des taux de HbCO, de MétHb, et de sulfhémoglobine par des tests de dépistage diagnostiques d’une exposition aux agents causaux (exemples : CO, nitrites).
La connaissance de l’action des NO2– est à la base du traitement de l’intoxication par les CN– (l’ion CN– est un inhibiteur des cytochromes oxydase de la chaîne de la phosphorylation oxydative mitochondriale qui bloque la respiration cellulaire par fixation sur le Fe3+ des cytochromes). Dans les intoxications par les CN–, on administre des nitrites pour oxyder le Fe2+ de l’Hb en Fe3+ (métHb). Une concentration de 10 à 20 % de MétHb ne présente pas de danger. On administre par la suite du thiosulfate de sodium Na2S2O3 qui stimule la formation de thiocyanate qui sera éliminé dans les urines.
Par interférence avec l’utilisation d’oxygène et le stockage de l’énergie (synthèse de l’ATP)
Les cyanures (CN–), l’amobarbital, l’antimycine, la roténone sont des bloqueurs du transfert des électrons à différents sites de la chaine respiratoire mitochondriale, ils bloquent aussi l’utilisation de l’O2, ce qui conduit au blocage de la phosphorylation oxydative et par conséquent, la synthèse de l’ATP.
Par action sur des enzymes
Par inhibition compétitive, non compétitive, réversible ou irréversible. Exemple : l’inhibition irréversible de l’acétylcholinestérase (CHE) par les organophosphorés tels que le Parathion et le Malathion.
Le rôle de cette enzyme est la dégradation de l’acétylcholine, médiateur de l’influx nerveux, l’inhibition de cette enzyme entraîne une accumulation de l’acétylcholine responsable de manifestations toxiques telles que les signes cholinergiques.
La vitesse de réactivation de l’enzyme dépend de la structure de l’organophosphoré (nulle pour le paraoxon métabolite du parathion).
En cas de non-réactivation spontanée de l’enzyme, une forme phosphorylée très stable prend naissance par élimination d’un groupement alkyle et conduit donc à une apparition d’une charge négative qui contrecarre la réaction de déphosphorylation et entraine le vieillissement de l’enzyme phosphorylée.
La connaissance de ces mécanismes d’action a permis le développement de certains tests diagnostiques tels que la détermination de l’activité cholinestérasique pour détecter une exposition aux organophosphorés ou aux carbamates. La détection précoce des altérations biologiques causées par le Pb permet la prévention des manifestations saturnines.
Parmi d’autres applications de ces connaissances en termes de mécanismes réactionnels, le développement de certains antidotes tels que les molécules nucléophiles capables de régénérer la cholinestérase CHE phosphorylée, exemples : les oximes, le BAL, dimercaptosuccinique, antidotes de l’intoxication à l’arsenic.
Un autre exemple est celui de la stimulation de la synthèse d’enzymes microsomiques (CYP450) par des substances chimiques différentes (Phénobarbital, DDT), et ses conséquences à savoir des interactions, une modification des effets, etc.
Par génération de radicaux libres
Le stress oxydatif est un déséquilibre entre les oxydants et les antioxydants, en faveur des oxydants, potentiellement conduisant à des dégâts structuraux et fonctionnels.
Un radical libre (RL) est une espèce chimique possédant un électron non apparié sur une orbite externe. Les radicaux libres sont produits par capture d’électron ou par fission d’une liaison covalente. Ils ont une très grande réactivité chimique pour des molécules biologiques importantes pour le fonctionnement cellulaire (acides gras, les thiols protéiques, les acides nucléiques, les glucides).
Les acides gras insaturés en présence de RL et d’oxygène subissent une dégradation oxydative appelée autoxydation lipidique ou lipoperoxydation responsable d’une désintégration des membranes mitochondriales, microsomiales, lysosomiales et de la mort cellulaire.
Les enzymes à fonctions sulfhydriles SH vont être inactivées par le radical libre en question. Les effets des RL sur les acides nucléiques s’expriment par des actions mutagènes et cancérigènes.
Exemples de substances exerçant leur action par génération de RL :
Le CCl4 est un toxique hépatique produit par scission homolytique impliquant le CYP450 avec production de deux RL (CCl3. et Cl.). Le CCl3.réagit avec l’O2 pour former le radical trichlorométhyl peroxyl (CCl3O2.) suivant la réaction suivante :
CCl3. +O2 → CCl3O2.
Ce dernier exerce une action toxique sur les Acides gras insaturés par lipoperoxydation.
Par désordres métaboliques et troubles de l’équilibre acido-basique
La toxicité du méthanol résulte de son oxydation en acide formique, qui s’accumule en développant une acidose métabolique et toxicité oculaire.
Les salicylés produisent une acidose métabolique par accumulation de métabolites acides (acide salicylique, acide salicylurique, acide gentisique) en plus de l’accumulation d’acides organiques (pyruvique, lactique) par inhibition de la phosphorylation oxydative.
Par interférence avec le système immunitaire
Immunodépression : les médicaments de types stéroïdes et cytostatiques, les toxiques industriels (BPC, PBr, l’asbeste, dérivés organiques de l’étain) sont responsables d’une immunodépression en faveur de risques infectieux.
Immunostimulation : Des médicaments tels que l’halothane, l’hydralazine interfèrent avec le métabolisme hépatique, et induisent des maladies auto-immunes.
Les affections allergiques : les réactions d’hypersensibilité de type I, type II (α méthyle dopa, pénicilline), type III et IV.
Par hypersensibilité d’origine génétique : La toxicité d’un corps chimique peut résulter de l’inactivité ou de l’absence d’une enzyme ou d’une substance biologique essentielle qui altère altération génétiquement le métabolisme de cette dernière, par exemple des médicaments tels que la primaquine, sulfanilamide, acétanilide, acide nalisidique et d’autres substances telles que le naphtalène qui provoquent une hémolyse chez des sujets ayant un déficit en G6PD, enzyme qui maintient une concentration suffisante de glutathion réduit GSH indispensable pour assurer l’intégrité de la membrane des globules rouges. On constate chez ces sujets des déficits en GSH réductase, GSH synthétase, GSH peroxydase, et une hémoglobine anormale.
Par action directe du toxique sur un récepteur
L’observation de la spécificité des effets biologiques de nombreux toxiques a débouché sur le concept de l’existence d’une substance réceptrice et la notion de site d’action pour une molécule.
Un récepteur est une structure essentiellement protéique stéréospécifique d’une molécule définie appelée ligand, capable d’induire un effet biologique caractéristique après fixation.
Exemple : La muscarine qui se fixe sur un récepteur muscarinique entraînant sa « stimulation », tandis que l’atropine entraîne le blocage de ces récepteurs.
Action secondaire du toxique
L’action primaire d’un toxique peut engendrer une chaîne de réactions secondaires. Indépendamment de son action toxique primaire, un toxique peut produire des modifications biologiques accessoires.
Tableau 4.1. Actions primaires et secondaires des toxiques.
Toxique | Action primaire | Action secondaire |
CCl4 | Au niveau du réticulum endoplasmique | Altération de la perméabilité cellulaire et libération des constituants cytoplasmiques |
Les esters organophosphorés (OP) | Inhibition de l’acétylcholinestérase du système nerveux central | Inhibition de la pseudo-cholinestérase sérique et d’autres estérases. |
Action selon le site cellulaire
Noyau : les agents mutagènes, cancérigènes, agents alkylants, sont des agents qui perturbent la synthèse de l’ADN, ils ont une action antimitotique.
Lysosomes : la silice cristalline, fibres d’amiante, et l’oxyde de béryllium possèdent une action fragilisante ou destructive sur les membranes lysosomiales.
Mitochondries : ceux sont les centrales énergétiques de la cellule, lieu de respiration et de phosphorylation oxydative. Les toxiques agissant sur la production d’énergie peuvent être des anoxiants : CN–, CO, amobarbital, antimycine, des inhibiteurs découplant la phosphorylation oxydative : les arséniates (As2O3) un analogue du phosphate, le dinitrophénol, des inhibiteurs de la phosphorylation oxydative : l’atractyloside, les macrolides (oligomycine). Des inducteurs du gonflement mitochondrial : l’ocytocine, la vasopressine, et la thyroxine.
Ribosomes : siège de la synthèse protéique. Les aminosides sont responsables des erreurs de lecture au niveau de l’ARNm entrainant la production de protéines défectueuses.
Réticulum endoplasmique : CCl4 par production de radicaux libres et une lipoperoxydation des membranes du REL (Figure 4.3), elle se propage aux autres constituants cellulaires.
Membrane plasmique : la modification de la membrane cellulaire par les anesthésiques tels que l’éther, l’halothane, ainsi que d’autres molécules lipophiles qui peuvent s’y accumuler entraînant des perturbations des cellules du système nerveux central.
Le mercure et le cadmium se complexent avec des phospholipides et altèrent leurs fonctions. Le cuivre provoque une fragilité des membranes des globules rouges ce qui est responsable de leur hémolyse. Le plomb et le cadmium inhibent une enzyme membranaire la Na+/K+ ATPase.
L’étude des mécanismes d’action des toxiques est essentielle dans la mesure où elle permet de prévoir les manifestations pathologiques, de développer des antidotes, de formuler des tests diagnostiques, et d’étendre les connaissances actuelles sur certains désordres métaboliques et sur les divers processus biochimiques.
Bibliographie
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- Jean-Claude Amiard (1 May 2011). Les risques chimiques environnementaux : Méthodes d’évaluation et impacts sur les organismes. Lavoisier. pp. 338–340. ISBN 978-2-7430-1344-8.
- Genèse des effets toxiques » Analytical Toxicology. (2018, March 24). Page Web https://www.analyticaltoxicology.com/genese-effets-toxiques/