Introduction

L'insuffisance cardiaque peut se définir comme l’incapacité du cœur (droit et/ou gauche) à assurer dans les conditions normales le débit sanguin nécessaire aux besoins métaboliques et fonctionnels des différents organes.

 Étiologie de l'insuffisance cardiaque

L’insuffisance cardiaque (IC) est la voie finale commune de nombreuses pathologies cardiaques, les étiologies sont donc multiples :
  • Anomalies musculaires

 Elles résultent presque toujours de la perte de myocytes, soit du fait d'un phénomène ischémique (atteinte des artères du cœur, infarctus du myocarde), inflammatoire (myocardite), ou mécanique (surcharge de pression ou de volume). La diminution de la force de contraction des myocytes est plus rare (alcool,…). 
  • Obstacles à l'éjection ventriculaire

Ils peuvent résulter d'une sténose valvulaire (aortique ou pulmonaire) ou d'une hypertension artérielle systémique ou pulmonaire.
  • Surcharge volumétrique

Elle peut résulter d'une fuite valvulaire (aortique, mitrale, pulmonaire ou tricuspide), d'une augmentation du débit cardiaque (anémie, cardiopathie congénitale..)
  • Dysfonction diastolique

Il peut exister une anomalie de remplissage ventriculaire ce qui réalise une dysfonction diastolique (rétrécissement mitral et tricuspide, ischémie, diabète, amylose, fibrose endomyocardique, cardiopathie restrictive, cardiomyopathie hypertrophique…)

Traitement de l’insuffisance cardiaque :

le traitement a pour objectifs ;
  • Augmenter la contractilité (effet inotrope positif);
  • Réduire les résistances artérielles;
  • Lutter contre la rétention hydrosodée.
Moyens 
  • Médicaments cardiotoniques;
  • Vasodilatateurs;
  • Diurétiques.

Les cardiotoniques 

Les cardiotoniques des médicaments qui ont la capacité d’améliorer le débit et la contractilité cardiaque dans l’insuffisance cardiaque : ce sont des médicaments inotropes positifs.

Définition des hétérosides cardiotoniques

Les digitaliques constituent un groupe homogène d’hétérosides cardiotoniques (origine végétale, extraits de Digitalis, structure composée d’une fraction osidique et d’une génine, et action pharmacodynamique semblable) qui présentent simplement des propriétés pharmacocinétiques différentes. Ils ont tous la propriété d’augmenter de façon importante la force de contraction cardiaque (en accroissant la quantité d’ions calcium cytosolique).
Plante d’origine GlucosidePrécurseur DénominationCommune Nom de spécialité
Digital pourpre (feuille) Purpurea glucosideA Digitoxine Digital nativelle
Digitaline laineuse (feuille) Lanatoside ALanatoside C DigitoxineAcétyl-lanatoside ADigoxineDésacetyllanatoside Digitaline acylanideDigoxine cédilanide
Strophantus gratus (graine) Ouabaïne(G-strophatine) Ouabaïne

Historique 

La digitale pourpre, décrite sous ce nom en 1542, préconisée au 17ème  siècle par PARKINSON et réputée antiépileptique. Elle ne fut réellement utilisée qu’après 1785 lorsque William Withering médecin et botaniste britannique fait les premières descriptions des effets bénéfiques de la digitale pourpre dans les états congestifs. Elle devint véritablement un médicament en 1868 grâce aux travaux du pharmacien et chimiste français Claude-Adolphe Nativelle : l’isolement du premier composé pur : la digitaline. *Puis en 191O Frédéric Wenchback  médecin et anatomiste hollandais avait initié son indication dans les maladies cardiaques.                        

Relation structure-activité :

Ouabaïne structure chimique

Structure de la Ouabaïne

  Digitoxine (DIGITALINE) 1 OH en C14 Digoxine (DIGOXINE) 2 OH en C12 et C14 Ouabaïne (OUABAINE) 5 OH en C1, C5, C11, C14, C18, L’activité cardiotonique est liée à la génine. La partie osidique n’intervient pas directement mais sa présence l’augmente et la module en faisant varier la polarité de la molécule et par conséquence la solubilité.

La Génine

C’est la partie active des hétérosides à laquelle est liée l’activité Cardiotonique : Le cycle lactonique pentagonal et sa double liaison sont indispensables à l’activité cardiotonique, en effet, l’élimination de ce cycle lactonique pentagonal ou saturation de la double liaison induit une forte diminution de l’activité. L’existence d’un enchainement X=C-C=(ou X est un hétéroatome) est obligatoire. Dans tous les cas la substitution du carbone C17 doit se faire en β. La configuration spatiale des cycles A, B intervient dans l’activité : l’uzarigénine  isomère Trans de la digitoxigénine est moins active. La présence des cycles C, D en cis est obligatoire (l’enchainement des cycles A, B, C et D est normalement Cis-Trans-Cis)

Substituants de la génine

- Les OH en C3 et C14 sont indispensables à l’activité cardiotonique. - La configuration spatiale en ß des OH en C3 et C14 et H en C5 intervient dans l’activité.

Les sucres

Ils agissent indirectement sur l’activité cardiotonique et l’augmentent en faisant varier  la polarité de la molécule et donc sa  liposolubilité (nombre de groupements OH de  la molécule). *La digitoxine ne possède pas de substituant hydroxylé en C12, le stéroïde étant apolaire; on obtient globalement une molécule apolaire. Les oses composant cet hétéroside sont eux aussi peu hydroxylés; La molécule est ainsi très lipophile (liposoluble). *La digoxine possède un groupement hydroxyle supplémentaire en C12, ce qui la rend un peu plus polaire (présente des caractères intermédiaires). *L’ouabaïne est la plus polaire avec cinq hydroxyles et un ose fortement hydroxylé substitués sur le noyau stéroïdien. Elle est donc très hydrophile (hydrosoluble).

Pharmacocinétique

Glucoside Ouabaine digoxine digitoxine
Polarité croissante avec le nombre des hydroxyles (OH) 5 2 1
Solubilité Hydrosoluble par IV Hydrsoluble  Liposoluble par voie orale
Absorption digestive faible 60 à 85% 90 à 100%
Fixation protéique nulle 25% 90%
biotransformation 0 10% 80%
Voie d’élimination Rein 70% Rein++ (mais aussi dans les fèces) 50% par les reins 50% dans les fèces
Délai d’action * 5 à 10 min 15 à 30 min 1 /2 à 2 h
Pic d’action* 1 /2 à 2 h 1-5h 4 à12h
T1 /2 plasmatique* 21h 36h 5 à 7 jours
*après injection d’une dose unique IV. Ces différences pharmacocinétiques ont des conséquences pratiques importantes :
  • Le digoxine est administrée par voie orale, sa demi-vie n’augmente pas en cas d’insuffisance rénale (l’élimination digestive compense l’élimination rénale), la demi-vie est très longue due à l’existence du cycle entérohépatique, la concentration d’équilibre n’est obtenue qu’au bout d’un mois ce qui peut inciter à la prise de doses de charges.
  • A l’opposé l’ouabaïne hydrosoluble n’est administrable que par voie parentérale sa demi-vie et sa durée d’action sont beaucoup plus courtes.
  • La digitoxine occupe une place intermédiaire. Elle est utilisable par voie orale, et sa posologie doit être réduite en cas d’insuffisance rénale.

Pharmacodynamie

Les glucosides améliorent la contractilité cardiaque au niveau moléculaire en inhibant la Na+/K+/ATPase liée à la membrane. Cette enzyme intervient pour établir le potentiel membranaire de repos de la plupart des cellules excitables. L’énergie nécessaire pour pomper activement trois ions Na+ hors de la cellule est deux ions K+ dans la cellule contre un gradient de concentration, provient de l’hydrolyse de l’ATP. L’inhibition de la pompe entraîne une augmentation de la concentration cytoplasmique de Na+. L’augmentation de la concentration en Na+ inhibe un autre échangeur membranaire d’ions (l’échangeur Na+/Ca++), il en résulte une nette augmentation de la concentration en Ca++. Le sens de transport de Na+ et Ca++ dépend du potentiel de membrane et de la concentration transmembranaire en ions. C’est un antiporteur ATP-dépendant qui normalement extrude le Ca++ hors de la cellule. Le Ca++ intracellulaire, en quantité augmentée, est activement pompé dans le réticulum sarcoplasmique ou il est disponible pour être libéré lors des dépolarisations cellulaires ultérieures. De la sorte le couplage excitation-contraction est majoré. Le mécanisme d’action tissulaire résultant est un renforcement de la contractilité, ou inotropisme positif. L’action inotrope positive des glucosides cardiaques modifie, dans le cœur défaillant, la courbe de fonction ventriculaire de Frank Starling. En dépit de son emploi très répandu il n’existe pas de preuve convaincante que la digitaline, le plus communément prescrit des glucosides, ait un effet bénéfique sur le pronostic à long terme dans l’ICC. Les symptômes sont améliorés, mais la digitaline ne guérit pas le trouble de fonction sous-jacent.
Mécanisme d’action des digitaliques (ouabaïne)

Mécanisme d’action de la ouabaïne

Fig. : Mécanisme d’action des digitaliques (exemple la ouabaïne) : le site de fixation des digitaliques est placé sur la partie extracellulaire de la structure hétérodimère α-β de l’enzyme Na+/K+/ATPase. L’inhibition de cette enzyme augmente la concentration intracellulaire de Na+, ce qui élève le Ca++ intracellulaire et entraîne l’action inotrope positive des glucosides cardiaques.

Action pharmacologique

Effets cardiaques

  • Les digitaliques :
  • Augmentent la force contractile : effet inotrope positif ;
  • Augmentent l’excitabilité du myocarde : effet bathmotrope positif ;
  • Diminuent la fréquence cardiaque : effet chronotrope négatif ;
  • Diminuent la conduction des influx électriques : effet dromotrope négatif.

Effet inotrope

Lié à la régulation intrinsèque (loi de Starling) : Les digitaliques augmentent la force de contraction des sarcomères, à pré- et postcharge constantes Lié à la régulation extrinsèque : Les digitaliques sensibilisent le cœur à l’action inotrope des catécholamines : cela expliquerait l’action des digitaliques à taux infra-thérapeutiques au cours de l’insuffisance cardiaque L’effet inotrope est net sur le coeur insuffisant ; l’efficacité est proportionnelle à la dose administrée et aux taux sériques, sans effet de tolérance à long terme ; La consommation myocardique en O2 diminue sur un cœur en insuffisance cardiaque.

Effet chronotrope négatif = bradycardisant

Par augmentation du tonus vagal. Par diminution de la stase veineuse.

 Effet dromotrope négatif

Au niveau du nœud de Tawara et du faisceau de His : Les périodes réfractaires sont allongées ; La vitesse de conduction est ralentie. Cela explique l’effet antiarythmique des digitaliques lors du traitement des tachycardies supraventriculaires.

Effet bathmotrope positif

C’est la propriété de déclencher un pacemaker intrinsèque au niveau des oreillettes et des ventricules, à l’origine des troubles du rythme, nets en cas d’intoxication digitalique.

Effets extracardiaques

  1. a) Rein
L’amélioration des conditions hémodynamiques de perfusion rénale a un effet antirénine, anti-aldostérone, antioedémateux et donc un effet diurétique indirect.
  1. b) Vaisseaux
  • Sujet sain : augmentation des résistances périphériques à vasoconstriction
  • IC : Diminution de l’hyperactivité sympathique à vasodilatation
  1. c) Système nerveux central
Stimulation des centres vagaux et du vomissement. À doses toxiques, excitation corticale à l’origine d’hallucinations et de troubles de la vue.
  1. d) Système nerveux autonome :
À taux thérapeutique : activation du tonus vagal (à tous les niveaux) ; pas d’effet sympathique (inhibé par le parasympathique). À taux toxique : activation du système sympathique avec augmentation de la libération de catécholamines, dont les conséquences chez l’homme restent mal connues.
  1. e) Tube digestif:
Augmentation du péristaltisme jusqu’à l’apparition de spasmes d’où vomissement et diarrhée. Les digitaliques peuvent entraîner des contractions des fibres intestinales par effet direct et indirect par stimulation bulbaire.

Les indications et contre-indications

Les indications

  • L’insuffisance cardiaque.
  • Les troubles du rythme supraventriculaires.
L’insuffisance cardiaque congestive
  • Les digitaliques sont indiqués dans le traitement de l’insuffisance cardiaque congestive débutante ou confirmée.
  • Ils sont d’autant plus efficaces :
que le cœur est dilaté ; qu’il existe une arythmie complète par fibrillation auriculaire ; que le patient n’est pas en hypovolémie ; que l’insuffisance cardiaque n’est pas terminale (la réserve contractile est alors nulle, l’effet bénéfique disparaît et les risques toxiques augmentent) ; qu’ils sont associés aux autres thérapeutiques de l’insuffisance cardiaque. Les troubles rythmiques supraventriculaires
  • C’est l’indication préférentielle des digitaliques :

Les contre-indications

 Les contre-indications absolues des digitaliques sont : - les blocs auriculo-ventriculaires du 2e et du 3e degré non appareillés - les troubles du rythme ventriculaires graves - les syndromes de pré-excitation, la digoxine déprimant la conduction dans la voie nodo-hissienne et favorisant le passage de l’influx dans la voie accessoire - les cardiomyopathies hypertrophiques obstructives - les troubles du rythme secondaires à une intoxication digitalique Les contre-indications relatives sont représentées par : - les blocs de branche bilatéraux - les maladies du sinus - le coeur pulmonaire chronique où l’hypoxie et les troubles acido-basiques favorisent leur toxicité.

Interactions médicamenteuses

Interactions
Quinidine Digoxinémie multipliée par 2
Amiodarone Digoxinémie : + 30 %
Propafénone Digoxinémie augmentée
Nifédipine, diltiazem, bépridil Pas d’interaction
Thiazidiques et diurétiques de l’anse Pas d’interaction directe
Warfarine (AVK) Digoxinémie augmentée (défixation protéique)
IEC Digoxinémie augmentée (la filtration glomérulaire et la sécrétion tubulaire sont déprimées)
ColestyramineLaxatifsCimétidineNéomycine Gels antiacides Réduction de l’absorption digestive de la digoxine
INH-Myambutol Digitoxinémie diminuée
Rifadine Digoxinémie diminuée chez les sujets hémodialysés

Effets indésirables

  • Effets secondaires cardiaques
Ils associent troubles de l’excitabilité et de la conduction, avec par ordre de fréquence décroissante : - extrasystoles ventriculaires volontiers polymorphes - bloc auriculo-ventriculaire du 1er, 2e ou 3e degré - extrasystoles et tachycardie jonctionnelles - arythmie atriale (tachysystolie) - tachycardie ventriculaire - bloc sino-auriculaire - asystolie. L’association chez un même patient de troubles de l’excitabilité et de la conduction oriente vers une intoxication digitalique.
  • Effets secondaires extra-cardiaque :
Ils sont essentiellement digestifs et neuro-psychiques : Troubles digestifs : anorexie, nausées, vomissements, diarrhée… Troubles neuro-psychiques : dyschromatopsie, scotome scintillant, céphalées, asthénie, paresthésie, névralgie faciale, confusion, délire, psychose…

Formes galéniques disponibles en Algérie

        Dénomination commune internationale (DCI)                   Nom déposé (ND)      Forme    Dosage  Conditionnement
     Digoxine     NAGOXIN   Comp.Sec    0,25 mg B/30
     Digoxine    DEXOREN  Comp.Sec    0.25 mg B/20
     Digoxine    PURGOXIN      Comp    0.25 mg B/30
     Digoxine      DIGOXINE               NATIVELLE   Comp.Sec    0.25 mg B/30
     Digoxine WERADOXIN 0.25      Comp    0.25 mg B/30
    Digoxine      XINECOR    Sol.Buv           à.usage    pédiatrique  0.05 mg/ml(ou 0.005%)  FL/60ml
    Digoxine      DIGOXINE               NATIVELLE    Sol.Buv  0.05 mg/ml FL/60ml
    Digoxine      DIGOXINE   Sol.Inj. IV  0.5 mg/2ml B/5
    Digoxine      DIGOXINE              STREULI     Comp     0.25 mg B/30
    Digoxine DIGOXINE CPCM   Comp.Sec    0.25 mg  B/30
    Digoxine      DIGOXINE              STREULI      Comp   0.125 mg B/30

Intoxication aux digitaliques

 Doses toxiques:

Les concentrations thérapeutiques sont très proches des concentrations toxiques. Les digitaliques font partie des médicaments à marge thérapeutique étroite.
Doses Thérapeutiques Toxiques
Digitoxine   15-25 ng/ml > 30   ng/ml
Digoxine 0.8 -2.00  ng/ml > 2,5  ng/ml

Mécanismes de la toxicité

L’inhibition marquée de la pompe Na/K

Elle est à l’origine d’une accumulation de Na+, de Ca ++ intracellulaire et d’une chute de pH intracellulaire. Les conséquences en sont une perturbation de l’homéostasie cellulaire. Hyperexcitabilité des fibres automatiques par oscillation du potentiel, à l’origine d’activités répétitives. La stimulation sympathique renforce ces oscillations à l’origine d’arythmie et de tachycardie aux étages auriculaire et ventriculaire. L’effet direct des digitaliques sur le NAV et l’hypertonie vagale sont à l’origine de BAV.

Facteurs aggravants à l’échelon cellulaire

Surcharge calcicosodique intracellulaire. Chute du potassium extracellulaire. Niveau élevé du tonus adrénergique.

Circonstances de survenue

 a) Surdosage thérapeutique Favorisé par la marge étroite existant entre doses thérapeutiques et doses toxiques. Dépisté par la surveillance systématique des dosages digitaliques ou au moindre signe évocateur de toxicité. b) L’intoxication massive, souvent plus grave, accidentelle, volontaire ou criminelle. La prescription de doses d’attaque chez des sujets encore imprégnés en digitaliques favorise la toxicité.

Les concentrations toxiques

3 ng/ml pour la digoxine, 35 ng/ml pour la digitoxine.

Présentation clinique

Le tableau clinique de l’intoxication digitalique associe classiquement des troubles digestifs, des troubles neurosensoriels et des troubles cardiovasculaires. Les deux premiers doivent faire évoquer le diagnostic chez un patient traité par digitalique. Les derniers font toute la gravité de cette intoxication. L’expression clinique des intoxications digitaliques est identique, qu’il s’agisse de la digoxine ou de la digitoxine. Ces intoxications ne diffèrent que par leurs caractéristiques pharmacocinétiques. La présentation clinique des intoxications aiguës diffère peu de celle des intoxications chroniques.

Troubles digestifs

Les vomissements résultent essentiellement d’une action excitatrice des digitaliques sur l’area postrema. Ils sont fréquents. Leur présence, en cas de traitement digitalique chronique doit faire évoquer un surdosage. En cas d’intoxication aiguë, ils sont précoces et sans parallélisme avec la gravité. Les vomissements ne sont pas calmés par l’atropine, mais le sont par les anticorps antidigitaliques. D’autres troubles digestifs, douleurs abdominales, diarrhée sont parfois observés.

Troubles neurosensoriels

En cas d’intoxication aiguë, environ un quart des patients présentent, de façon précoce, une obnubilation, une somnolence ou une agitation avec angoisse. Plus rarement, il s’agit d’un véritable état psychotique aigu (délire confusionnel, hallucinatoire) d’apparition plus tardive que les troubles digestifs. Des céphalées, des myalgies, une asthénie sont fréquentes. Les troubles oculaires, dyschromatopsie avec auréoles colorées, scotomes scintillants, vision floue ou tremblante, ou plus rarement micropsie, amblyopie ont été décrits. Ces troubles semblent plus fréquents lors des surdosages. Les mécanismes de ces troubles neurologiques restent mal connus. Ils ne sont pas la conséquence d’un collapsus ou d’un désordre hydroélectrolytique. Les troubles neurosensoriels des intoxications digitaliques semblent accessibles au traitement par anticorps antidigitaliques.

Atteinte rénale et hyperkaliémie

Au cours des intoxications aiguës, l’insuffisance rénale est peu fréquente. Elle est, quand elle existe, d’origine fonctionnelle. En revanche, au cours des intoxications chroniques par la digoxine, l’insuffisance rénale est fréquente. Elle est retrouvée chez plus de deux tiers des patients. Elle est ainsi impliquée dans la genèse du surdosage et la pérennisation du trouble. L’hyperkaliémie est un signe constamment retrouvé au cours des intoxications graves. Elle est étroitement liée au pronostic. Il est probable que l’insuffisance rénale joue un rôle dans la genèse de l’hyperkaliémie des surdosages digitaliques.

Manifestations cardiaques

Elles font tout le pronostic de l’intoxication digitalique, qu’elle soit aiguë ou chronique. Il peut s’agir de troubles de la conduction et de troubles de l’automatisme qui sont souvent concomitants et liés.

Troubles de conduction

Les troubles de conduction peuvent être très précoces. Ils sont dangereux car ils exposent aux risques de bradycardie voire d’asystole et de démasquage de foyers de suppléance. La désynchronisation des périodes réfractaires qu’ils engendrent favorise les réentrées ventriculaires. Ainsi, la bradycardie et les troubles de conduction favorisent la survenue des troubles du rythme ventriculaire. Ces troubles de conduction nécessitent un traitement urgent. Tous les troubles de conduction sont possibles. Les principaux troubles rencontrés sont la bradycardie, les troubles de la conduction sino-auriculaire (bloc sino-auriculaire de troisième degré) et auriculo-ventriculaire de tous degrés. Chez les patients traités par digitalique pour une fibrillation auriculaire (ce qui est le cas le plus souvent), le surdosage s’exprime volontiers sous forme d’une bradycardie irrégulière.

Troubles de l’automatisme

Les troubles de l’automatisme à l’étage ventriculaire peuvent consister en des extrasystoles ventriculaires plus ou moins fréquentes et des tachycardies ou fibrillations ventriculaires. Ces dernières ont une valeur pronostique péjorative. Elles peuvent résulter de deux mécanismes : hyperautomatisme dû à un foyer ectopique ou à un phénomène de réentrée. Les extrasystoles ventriculaires doivent être traitées avant de dégénérer en arythmie ventriculaire.

Autres anomalies électrocardiographiques

Outre les troubles de la conduction et les troubles du rythme, les anomalies électrocardiographiques le plus souvent observées sont un aplatissement de l’onde T qui devient volontiers négative, mais reste asymétrique, un abaissement du point J avec un sous-décalage du segment ST à type de cupule à concavité supérieure dite « cupule digitalique ». En cas d’intoxication aiguë, la présence d’une cupule signe l’intoxication. En revanche, elle n’a pas de valeur en cas de surdosage. L’espace QT est souvent raccourci, du fait de l’accélération de la repolarisation. Au total, et particulièrement s’il faut attendre le traitement par anticorps antidigitaliques, la réanimation doit viser à éviter les bradycardies extrêmes, surtout si les foyers de suppléance sont bas situés et donc à corriger les troubles de la conduction auriculoventriculaire et à éviter les manifestations d’hyperautomatisme ventriculaire. La présentation clinique des intoxications digitaliques aiguës et chroniques diffère peu. Quand il y une différence (âge, antécédents cardiologiques…), elle suggère une gravité supérieure des surdosages.

Traitement

L’introduction dans l’arsenal thérapeutique des anticorps antidigitaliques comme alternative à l’entraînement électrosystolique a bouleversé – au moins sur un plan théorique dans un premier temps – la prise en charge des intoxications digitaliques. À l’exception de l’atropine qui, en accélérant la fréquence cardiaque, a au cours des intoxications digitaliques, un véritable effet anti-arythmique et antidotique, tout autre traitement que les anticorps doit aujourd’hui être proscrit. Les autres traitements sont inefficaces voire dangereux, ce qui est le cas de toutes les catécholamines. En outre, les anticorps antidigitaliques sont efficaces sur la plupart des signes de l’intoxicabv tion digitalique, y compris digestifs ou biologiques. Les autres éléments du traitement sont d’un intérêt mineur.
  • Traitement symptomatique

Son but est essentiellement de prévenir et de corriger les troubles hydroélectrolytiques et les autres facteurs aggravants de ces intoxications. Il convient de distinguer l’hyperkaliémie, critère de gravité de l’intoxication,de l’hypokaliémie, facteur aggravant. L’hypokaliémie favorise probablement la fixation des digitaliques sur les récepteurs myocardiques et certainement aussi les arythmies. L’existence ou l’apparition d’une hypokaliémie impose sa correction par des apports parentéraux. Cette correction doit être prudente afin d’éviter une hyperkaliémie. L’hyperkaliémie contre-indique tout apport de potassium. Elle est efficacement traitée par les anticorps. L’hypercalcémie doit être corrigée. En effet, elle exerce une action synergique avec les digitaliques au niveau du myocarde, surtout sur l’automatisme cardiaque. À l’inverse, l’hypocalcémie diminue notablement les effets toxiques des hétérosides cardiotoniques. Les anomalies en magnésium, sodium ou phosphore potentialisent la toxicité des digitaliques et doivent être corrigées.

Traitement des troubles du rythme

En cas de bradycardie ou de trouble de conduction entraînant une bradycardie, l’atropine (0,5-1 mg IVD) peut corriger les effets d’une stimulation vagale. La répétition des doses est souvent nécessaire. L’administration répétée d’atropine peut provoquer une encéphalopathie atropinique. Les catécholamines sont à proscrire. Elles favorisent la survenue d’un trouble du rythme ventriculaire. L’immunothérapie est actuellement le traitement de référence des bradycardies et des troubles de la conduction dus au digitaliques. En cas d’arythmie ventriculaire, la plupart des anti-arythmiques sont contre-indiqués car ils potentialisent les troubles de conduction. L’immunothérapie est actuellement le traitement de référence. Ses indications et ses modalités d’emploi sont détaillées plus bas.

Traitement évacuateur : Épuration digestive et extrarénale

Conformément aux recommandations en vigueur, la décontamination digestive est utile dans la première heure. Elle ne doit être pratiquée qu’en l’absence de situation menaçante. L’administration répétée de charbon activé (25 à 50 g toutes les 6 heures) est proposée dans les intoxications à la digoxine et surtout par la digitoxine du fait d’une circulation entéro-hépatique. Sa tolérance est cependant médiocre. L’hémodialyse et l’hémoperfusion n’ont pas d’intérêt clinique.

Traitement spécifique par anticorps antidigitaliques

Les anticorps antidigitaliques sont commercialisés actuellement en France sous le nom de spécialité DigiFab® ; le Digidot® et le Digibind® ne sont plus commercialisés. Ce sont des fragments Fab d'anticorps antidigitaliques qui se fixent sur la fraction génine du cardiotonique en formant des complexes immuns stables masquant les sites moléculaires du toxique. Leur efficacité et leur innocuité expliquent l'intérêt porté à ce traitement. Ces fragments Fab sont obtenus par immunisation du mouton contre les digitaliques, eux-même rendus immunogènes par fixation sur la sérum-albumine bovine.

Indications

  • Intoxication aiguë par la digoxine ou ses dérivés (dose ingérée de digoxine > 10 mg chez l'adulte ou 4 mg chez l'enfant)
  • Surdosage digitalique avec signes de gravité (âge, existence d'une cardiopathie antérieure, troubles de conduction, troubles du rythme, hyperkaliémie)
  • Intoxication par les plantes contenant des glycosides cardiotoniques (digitale, laurier rose...)
  • Intoxication par des préparations à base de crapauds du genre Bufo

Réalisation pratique

Neutralisation équimolaire

En présence d'un seul facteur péjoratif suivant :
  • Arythmie ventriculaire (fibrillation ou tachycardie ventriculaire)
  • Bradycardie sévère < à 40 c/min résistante à l'injection IV de 1 mg d'atropine.
  • Kaliémie > 5,5 mmol/L
  • Choc cardiogénique
  • Infarctus mésentérique

Neutralisation semi-molaire

En présence d'au moins 3 facteurs péjoratifs suivant :
  • Sexe masculin
  • Cardiopathie préexistante
  • Age > 55ans
  • BAV quel que soit le degré
  • Bradycardie < 50 c/min et résistante à l'injection IV de 1 mg d'atropine
  • Kaliémie > 4,5 mmol/L

Posologie

Le DigiFab® contient 40 mg par ampoule (le Digibind® en contenait 38 mg et le Digidot® 80 mg). En général, 10 flacons sont nécessaires chez l'adulte. La dose de DigiFab®, dans du sérum salé isotonique, est à administrer par perfusion intraveineuse sur une période d'au moins 30 min, sous surveillance électrocardiographique. Normalement l'effet est spectaculaire.
  • Un flacon de DigiFab® contient 40 mg de Fab et neutralise 0,5 mg de digoxine (dose interne). La dose interne à neutraliser peut être calculée :
  • Lors d'une ingestion aiguë : dose interne (mg) = quantité supposée ingerée (en mg) x biodisponibilité de la digoxine (0,8)
  • Lors d'un surdosage thérapeutique : dose interne (mg) = [concentration sérique de la digoxine (ng/mL) x volume de distribution (Vd) (L/Kg) x poids (Kg)] /1000 avec Vd = 5,6 L/Kg pour la digoxine
  • Une deuxième dose d'antidote est fondée lors de l'apparition de signes cliniques associés à un facteur péjoratif
  • Le suivi de la digoxinémie est inutile après administration de l'antidote

Remarques

  • L'efficacité clinique des Fab antidigitaliques est suffisamment éprouvée pour abandonner l'utilisation de l'entraînement électrosystolique (pacemaker) pour traiter un BAV, quand les Fab sont disponibles
  • Coût élevé
  • Conservation au froid et à l'abri de la lumière

Effets indésirables

  • Réactions anaphylactiques aiguës potentiellement mortelles (qui justifient la réalisation de tests allergiques cutanés et conjonctivaux)
  • Aggravation d'une insuffisance cardiaque pré-existante chez les patients habituellement traités par digitaliques
  • Hypokaliémie
  • Phlébite
  • Réaction d'hypersensibilité

Toxicologie analytique 

Propriétés physicochimiques :

Propriétés Digoxine (C41H64O14) Digitoxine (C41H64O13)
Poudre Poudre microcristalline Poudre blanche                              Cristaux incolores
Solubilité Pyridine, Chloroforme, Ethanol++ Chloroforme, Ethanol+ +  Acétate d’éthyle+  Peu soluble dans l’éther  et l’éther de pétrole.
Insolubilité Eau, Ether, Acétone, Acétate d’éthyle Eau

Prélèvement:

Il concerne généralement le plasma ou le sérum mais certaines techniques sont adaptées à d’autres matrices biologiques : sang total, urine, contenu gastrique, bile et salive. Extraction *Extraction : consiste en une : *Extraction liquide-liquide : chloroforme ; dichlorométhane… *Extraction en phase solide: cyclodextrine.

Dépistage :

Dépistage Digitoxine Digoxine
Pentachlorure d’Antimoine Jaune  à   marron            Violet
CCM Sys TAD—Rf 42Sys TAE—Rf 88 Sys TAD—Rf 28Sys TAE—Rf 85
Acide  perchlorique Fluo rouge (366nm) Fluo bleue (366nm)
P-anisaldéhyde Bleue (100°) Bleue (100°)
T chromatine+TCA (R  Jensen Fluo jaune (366nm) Fluo bleue (366nm)
  *Par HPTLC : Évaluation de  l’absorbance  à 218nm  (pic d’absorption).

Dosage :

*Sur le plan analytique, c'est la  forme libre de digoxine qu'il est  important de déterminer pour le suivi de l’intoxication. *Un autre  risque à l’origine d'une erreur d'interprétation est  l'interaction analytique entre la digoxine et l’anticorps administré (Digidot ®). *Les différentes méthodes immunologiques de dosage montrent des spécificités différentes entrainant un risque d'erreur d'interprétation.

Méthodes Immunochimiques:

Le dosage sérique; est simple et rapide par les méthodes immunochimiques et il est d’une grande utilité pour le suivi thérapeutique et dans le cas des intoxications aux digitaliques. Quatre techniques peuvent être utilisées:

Radio-immunologiques: (RIA) c’est une méthode rapide, sensible et précise,

Limite de détection (digitoxine dans le sérum, urine ou LCR) : 5 μg/L Limite de détection (digoxine dans le sérum ou urine): 250 ng/L Mais il faut noter l’existence de réactions croisées entre les digitaliques et leurs nombreux métabolites, ou d’autres hétérosides cardiotoniques, et des faux positifs par des composés endogènes « digoxine-like » présents chez la femme enceinte ou le nouveau-né, et lors des souffrances hépatiques et/ou rénales.
  • Immuno-enzymatiques: en phase homogène : (EMIT: Enzym Multiplied Immunoassay Technique) ou en phase hétérogène 🙁ELISA), utilisent principalement la glucose-6-P-déshydrogénase comme enzyme de marquage mais aussi la peroxydase et la phosphatase alcaline).
  • Immuno-fluorimétriques:
Limite de détection (digitoxine dans le sérum) : 1 μg/L. Utilise la fluorescéine (FPIA++ Fluorescence Polarization Immunoassay)
  • Immuno-turbidimétriques: KIMS (Kinetic Interaction of Microparticles in Solution)

Application

- Suivi thérapeutique (digoxinémie). - Intoxication aigue

Prélèvement

-6 - 8 heures après la dernière prise (cas du suivi: digitoxine et digoxine). - Sérum ou plasma hépariné non hémolysé.

Méthodes chromatographiques

  • HPLC-UV /DAD: Exemple d’une méthode : une colonne C18 avec une phase mobile eau / Acétonitrile (72:28, v/v) .Longueur d’onde = 218 nm.
  •  HPLC-FLD: Après dérivatisation (par acide déhydroascorbique et chlorure de naphtoyl).
  •  Couplage HPLC avec une méthode immunochimique:
En vue d'un dosage spécifique de la digoxine dont les concentrations sont inférieures à la limite de sensibilité des détecteurs utilisables en HPLC, le couplage à la RIA est indispensable pour déterminer les proportions respectives de digoxine et de ses métabolites. Ces raisons essentielles font du couplage de la HPLC à une méthode immunologique, la technique de référence pour le dosage de digoxine et, plus généralement, en vue de la validation d'un anticorps anti médicament pour la mise au point d'une méthode immunochimique.
  • LC/SM et MS/MS: Méthode de confirmation (+++)
Une méthode originale par LC/MS est proposée pour l'identification et le dosage des hétérosides cardiotoniques dans les fluides biologiques. La détection est assurée par le spectromètre de masse API 100 (Perkin Elmer) équipé d'une interface à pression atmosphérique de type ion spray. Les temps de rétention pour 8 digitaliques sont: ouabaïne, 2,01 min; Lanatoside C,5,74 min; digoxine, 6, 00 min; proscillaridine, 7,33 min; digitoxine, 8,08 min; oléandrine, 8,30 min; a-acétyidigitoxine, 8,66 min; B-acétyidigitoxine, 9,01 min. La limite de détection pour la digoxine est de 0,1 ng/ml, un domaine de linéarité jusqu'à 5ng/ml. Avec des valeurs thérapeutiques de 0,5 à 0,9 ng/ml de digoxine. La grande spécificité de cette méthode permet l'identification formelle et nominale des différents digitaliques, ce qui constitue un avantage majeur par rapport aux techniques non séparatives conventionnelles type RIA.

Conclusion

Les digitaliques restent des médicaments efficaces mais à manier avec prudence dans les cardiopathies évoluées ; surtout de nature ischémique chez les sujets âgés, les insuffisant rénaux, chez les sujets présentant une hypokaliémie. L’adaptation de la posologie et la surveillance thérapeutiques sont indispensable (index étroit). Lors d’intoxication ; l’utilisation des fragments Fab d’anticorps antidigoxine a récemment révolutionné le traitement mais l’inconvénient majeur reste la non disponibilité du traitement dans tous les services du soin  car il est très coûteux.  
Was this article helpful?
YesNo

Laisser un commentaire

Close Search Window

En savoir plus sur Analytical Toxicology

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading