La toxicité d’un agent chimique est caractérisée par une modification moléculaire initiale et une altération fonctionnelle des cellules pouvant être qualifiées de rupture d’homéostasie.
Ce dysfonctionnement peut engendrer des lésions cellulaires et dans le cas extrême conduire à la mort de la cellule.
La lésion cellulaire est l’atteinte fonctionnelle et structurelle des cellules liée à une séquence d’événements apparaissant lorsque la cellule a dépassé ses possibilités d’adaptation face à un stimulus. Les lésions cellulaires peuvent être réversibles, c’est le cas de la dégénérescence cellulaire, ou irréversible c’est le cas de la mort cellulaire. La mort cellulaire peut arriver suite à deux processus différents : la nécrose et l’apoptose.
Cytotoxicité
La cytotoxicité est la propriété d’un agent toxique à détruire des cellules vivantes, par exemple : les médicaments cytostatiques.
Cibles biologiques de l’action des cytotoxiques
Les membranes cellulaires peuvent être le siège d’altérations diverses telles que la peroxydation lipidique, la perte de la perméabilité sélective de la membrane plasmique.
Au niveau des mitochondries, ces toxiques inhibent la phosphorylation oxydative, la bêta-oxydation des acides gras, la respiration cellulaire, et par conséquent, entrainent une chute de la concentration en ATP.
Au niveau des lysosomes, ils inhibent les capacités de dégradation de la cellule.
Le patrimoine génétique peut-être altéré par les génotoxiques.
Mécanismes biochimiques impliqués dans la mort cellulaire
L’élévation de la concentration cytosolique en Ca2+ qui était maintenue grâce à un contrôle très strict du transport membranaire et par des réserves internes situées dans les mitochondries et le réticulum endoplasmique, une rupture de cette régulation est souvent le premier événement du développement de la toxicité cellulaire,
La déplétion en ATP et/ou la diminution du rapport ATP/ADP sont des événements consécutifs à des atteintes mitochondriales directes ou indirectes, ils entraînent des troubles de l’anabolisme, un arrêt de la plupart des fonctions cellulaires essentielles, une élévation du Ca2+ intracellulaire par inhibition des ATPases contrôlant l’homéostasie calcique. Une altération de l’état d’oxydoréduction lié à l’effondrement du taux de glutathion réduit (GSH), ainsi que les activités enzymatiques de la superoxyde dismutase et la catalase qui déterminent le statut antioxydant des cellules.
Méthodes d’études de la cytotoxicité
Il existe trois grands groupes de méthodes d’études de la cytotoxicité :
- Des méthodes fondées essentiellement sur des perturbations de la perméabilité membranaire,
- Des méthodes fondées sur des altérations de la prolifération cellulaire,
- Autres méthodes.
Méthodes fondées essentiellement sur des perturbations de la perméabilité membranaire :
On distingue deux types :
1) Méthodes de cytotoxicité utilisant des colorants : basées sur l’utilisation d’un colorant qui, en fonction de ses caractéristiques, pénètre dans les cellules vivantes ou mortes. La proportion relative des cellules colorées ou non est un reflet exact du nombre de cellules vivantes ou mortes et donc de la viabilité de l’ensemble de la population cellulaire, en relation directe avec la concentration du toxique étudié.
Il existe 3 types de colorants :
- Les colorants vitaux ou d’exclusion (cellules mortes).
- Les colorants supravitaux ou d’inclusion (rouge neutre pour les cellules vivantes).
- Les colorants nécessitant une étape de métabolisation (sel de tétrazolium).
2) Méthodes mesurant le relargage des molécules dans le milieu extra cellulaire : ces méthodes comprenant une méthode enzymatique (mesure de l’activité de la LDH) et une méthode radioactive (mesure de la libération du chrome radioactif (5lCr) lié de manière non covalente aux acides aminés basiques de protéines intracellulaires libérés par les cellules mortes dans le milieu et quantifié par un compteur gamma.
Méthodes fondées sur les altérations de la prolifération
Elles reposent sur le principe que tout effet toxique, en tuant des cellules ou en bloquant le cycle cellulaire, diminue la prolifération de la population. On distingue 2 groupes de méthodes : méthodes de numération, et les méthodes biochimiques qui quantifient l’ADN, les protéines totales, reflet du nombre de cellules.
Autres méthodes
Ils existent d’autres méthodes à principes différents, exemple : les méthodes morphologiques fondées sur l’étude des altérations cellulaires jusqu’à la lyse.
Nécrose
La nécrose est une mort cellulaire “désordonnée” qui affecte en général des groupes de cellules, elle est causée par des agressions extérieures telles que l’insuffisance d’apport en oxygène (hypoxie par ischémie), le déséquilibre nutritionnel (privation de glucose), des agents physiques (traumatisme, brulures, radiations, choc électrique), des agents chimiques (médicaments), des agents infectieux (BK et la nécrose caséeuse), et les réactions immunologiques.
Mécanismes des lésions cellulaires et de la nécrose
Quatre systèmes sont atteints :
- L’intégrité des membranes cellulaires
- La respiration aérobie
- La synthèse protéique
- L’intégrité de l’appareil génétique de la cellule
Les lésions cellulaires réversibles
Elles sont dues principalement à une diminution de l’oxygène cellulaire responsable d’une inhibition de la phosphorylation oxydative et par conséquent, une déplétion en ATP. Le dysfonctionnement de la pompe à sodium augmente les concentrations intracellulaires du sodium et du calcium ce qui conduit à une accumulation de l’eau et une lyse cellulaire.
Au cours de ces lésions, une augmentation de la glycolyse anaérobie, et une diminution du glycogène et du pH intracellulaire sont constatées. Le détachement des ribosomes des réticulums endoplasmiques est à l’origine de l’effondrement de la synthèse protéique.
Morphologie
Les cellules nécrosées présentent un gonflement cellulaire et mitochondrial, une dilatation du réticulum endoplasmique et une dispersion des ribosomes. La chromatine nucléaire se fragmente en amas compacts de contours souvent irréguliers.
Lésions cellulaires irréversibles
Elles sont dues aux dysfonctions mitochondriales irréversibles avec augmentation du calcium intramitochondrial, responsable des modifications de la perméabilité mitochondriale. Les anomalies du cytosquelette sont dues à l’activation des protéases calcium-dépendantes, les pertes des phospholipides membranaires sont causées par l’activation de phospholipases calcium-dépendantes. L’excès des radicaux libres provient des lésions des membranes cellulaires et lysosomiales et la digestion enzymatique des composants cellulaires.
Morphologie
Les cellules nécrosées présentent un gonflement des mitochondries, des lésions des membranes cellulaires, une rupture des lysosomes. Le phénomène d’autophagie est très remarqué à ce stade.
Aspect morphologique de la nécrose
Morphologie de la nécrose cellulaire
Un gonflement de la cellule et des organites, une fragmentation de la chromatine nucléaire s’accompagnant d’une fragmentation aléatoire de l’ADN, nettement repérable en gel d’agarose.
Un éclatement cellulaire, et une réaction inflammatoire qui se développe habituellement dans le tissu adjacent en réponse à la libération du contenu cellulaire (enzymes lysosomiales).
Morphologie de la nécrose tissulaire
On distingue :
Nécrose de coagulation : caractéristique de la mort cellulaire par hypoxie s’observe lors des infarctus et des brûlures. Il y a préservation de la forme de la cellule et de l’aspect général du tissu, mais les cellules, nécrosées, sont éosinophiles, coagulées, avec disparition du noyau.
Nécrose de liquéfaction : habituelle dans les infections, se traduit par la formation de pus, mélange de débris cellulaires et de polynucléaires altérés.
Nécrose caséeuse : caractéristique de la tuberculose.
Cytostéatonécrose : nécrose du tissu adipeux, due à l’activation des lipases pancréatiques.
Nécrose hémorragique : due à l’afflux sanguin dans la zone de nécrose ischémique.
Nécrose gangréneuse : due à l’effet ischémique causé par les germes anaérobies.
Nécrose fibrinoïde : une nécrose de coloration homogène.
Mise en évidence de la nécrose
On utilise des techniques objectivant les altérations membranaires caractéristiques de la nécrose, ces techniques sont basées sur la libération d’hémoglobine par les globules rouges, libération d’enzymes par des cellules diverses, libération de 51Cr, et l’entrée du colorant normalement imperméable aux cellules intactes.
Apoptose
C’est la mort cellulaire génétiquement programmée, nécessaire à la survie des organismes pluricellulaires. Elle peut être physiologique ou pathologique.
L’apoptose physiologique est généralement incriminée dans l’organogenèse (genèse des doigts, formation du cerveau), le développement du système immunitaire (élimination des anticorps inactifs ou auto-immuns, destruction des lymphocytes T autoréactifs), différenciation intestinale (phénomène apoptotique d’anoïkis), dédifférenciation mammaire (élimination des cellules épithéliales des glandes mammaires après la période d’allaitement).
Au cours de l’apoptose pathologique, l’apoptose est inhibée, la durée de la survie cellulaire est anormalement prolongée, ce qui aboutit à des pathologies malignes telles que les cancers (par mutation du gène P-53), des maladies auto-immunes (défaut d’élimination des lymphocytes auto réactifs), une apoptose excessive, une perte de cellules normales ou protectrices (syndrome d’immunodéficience SIDA avec déplétion lymphocytaire viro-induite par le VIH), et des maladies neurodégénératives (amyotrophie spinale).
Inducteurs de l’apoptose
Plusieurs facteurs induisent l’apoptose, par exemple, le stress, l’hypo-oxygénation, les infections virales, l’accumulation des protéines dans le réticulum endoplasmique, le traitement par des substances cytotoxiques ou des corticoïdes, l’atteinte de l’ADN par les irradiations (rayons UV ou X), la privation en facteurs de croissance, la transmission d’un signal de mort (récepteur Fas des lymphocytes cytotoxiques, des Natural Killers NK, du facteur de nécrose TNFa), perte des contacts cellulaires et la mort par le phénomène d’anoïkis (mort cellulaire initiée à la suite du détachement d’une cellule de la matrice extracellulaire).
Les acteurs moléculaires de l’apoptose
Les gènes régulateurs d’apoptose
Les Caspases
Les caspases sont des protéases apoptogènes riches en cystéine, le ‘C’ représente la Cystéine, ‘aspase’ définit la spécificité de clivage des substrats après un acide aspartique.
Elles sont composées d’un prodomaine N-terminal de taille variable, un domaine qui deviendra après clivage la grande sous-unité de 20 kDa portant le centre actif, un domaine qui deviendra après clivage la petite sous-unité de 10 kDa.
Activation : la conversion de la caspase à l’état de zymogène en une enzyme mature nécessite au moins deux clivages, et la caspase s’assemble sous sa forme active, composée de deux grandes et de deux petites sous-unités (p10/p20)2.
Les caspases vont pouvoir s’auto-activer et/ou être activées par d’autre caspases. Les caspases initiatrices activées vont pouvoir cliver d’autres caspases encore à l’état de zymogène (notamment les caspases effectrices).
Les Bcl-2
Bcl-2 est le prototype d’une famille de gènes qui peuvent être soit proapoptotique : Bax, Bak, Bad, Bid, ou anti-apoptotique : Bcl-2, Bcl-xL, Bcl-w. À l’heure actuelle, il y a en tout 25 gènes connus de la famille Bcl-2. Bcl-2 doit son nom à l’anglais B-cell lymphoma 2 (lymphome 2 à cellules B).
Mécanismes biochimiques
Le déroulement de l’apoptose s’effectue schématiquement en 2 phases :
La phase de déclenchement ou d’engagement survenant en réponse à un signal intrinsèque ou extrinsèque.
La phase d’exécution au cours de laquelle sont activées des enzymes qui dégradent les substrats cellulaires provoquant la mort apoptotique. Les enzymes majeures de cette étape sont appelées caspases.
La phase de déclenchement ou d’engagement est gouvernée par deux voies principales d’activation :
(1) Voie extrinsèque qui implique des récepteurs appartenant à la superfamille des récepteurs au TNF (Tumor Necrosis Factor). La liaison récepteur-ligand induit l’activation du récepteur et le recrutement de protéines adaptatrices qui établissent des liens facilitant le clivage et l’activation des caspases initiatrices qui à leur tour clivent et activent les caspases effectrices qui hydrolysent des substrats spécifiques conduisant à l’apoptose.
(2) La voie intrinsèque met particulièrement en jeu la mitochondrie, cette voie est gouvernée par des protéines appartenant à la superfamille de Bcl-2 elle est activé par l’hypoxie, les radiations ionisantes, les radicaux libres, et certains toxiques.
Il y a libération des cytochromes c dans le cytoplasme, qui s’associent au complexe APAf1-dATP et forment le cyt c-APAf1-dATP appelé l’apoptosome, il s’en suit une activation des caspases-9 qui activent à leur tour les caspases-3 induisant l’apoptose.
APAf1: Apoptotic Protease Activating factor 1.
La phase d’exécution : Les caspases sont l’élément clé de cette phase, elles sont présentes sous formes inactives, leur activation va être à l’origine de deux éléments essentiels permettant d’identifier l’apoptose : le clivage de l’ADN et le clivage protéique.
Clivage de l’ADN : se fait par clivage internucléosomique en fragments de 180 à 200 paires de bases par des endonucléases dépendantes du Ca2+ et du Mg2+. Ces fragments sont visibles après migration sur gel d’agarose. Leur apparition précède l’apparition des anomalies morphologiques.
Clivage protéique : à l’origine des anomalies morphologiques, il se traduit par une fragmentation du noyau et du cytosquelette entraînant la formation de corps apoptotiques phagocytés par les cellules.
La cellule apoptotique, par exposition de phosphatidylsérine à la surface de la membrane cellulaire, explique sa reconnaissance précoce par le système phagocytaire et l’absence de processus inflammatoire.
Description morphologique de l’apoptose
Les cellules apoptotiques vont s’isoler des autres cellules. Leurs mitochondries vont subir plusieurs modifications majeures : relargage du cytochrome c dans le cytoplasme, diminution du potentiel membranaire et l’ouverture de pores spécialisés. Le noyau se condense, puis la chromatine est clivée en fragments réguliers d’environ 180 paires de bases.
La membrane plasmique, quant à elle, forme des bourgeonnements à l’origine des corps apoptotiques. La cellule va signaler son état apoptotique à son environnement notamment grâce au changement de localisation des molécules de phosphatidylsérine qui passent d’une orientation cytoplasmique vers une orientation extracellulaire.
Détection de l’apoptose
La détection des fragments d’ADN se fait par la méthode de TUNEL. Cette méthode permet de détecter les coupures d’ADN en utilisant la desoxynucléotidyltransférase (Tdt). Un système de révélation est associé à ces nucléotides permettant de localiser les fragments d’ADN.
La fragmentation de l’ADN peut aussi être révélée par électrophorèse.
D’autres méthodes existent telles que la révélation des chutes de potentiel transmembranaire au niveau des mitochondries, et qui utilise le DiOC6, ce dernier pénètre peu dans la mitochondrie si le potentiel transmembranaire est bas. D’autres méthodes peuvent être aussi utilisées telles que l’analyse moléculaire de FAS, la PCR, le clonage et le séquençage.
Comparaison entre apoptose et nécrose
Tableau 11. 1. Comparaison entre l’apoptose et la nécrose
Nécrose | Apoptose | |
Facteurs inducteurs | Pathologiques | Physiologiques |
Régulation | Non | Oui |
Mode de survenue | Amas de cellules | Cellules isolées |
Volume cellulaire | Augmenté | Diminué |
Noyau | Dispersion de la chromatine | Condensation de la chromatine |
Cytoplasme | Organites atteints | Organites intacts |
Membrane cytoplasmique | Lésée | Intacte |
Réaction inflammatoire | Présente | Absente |
Bibliographie
- Roger Lacave; Christian-Jacques Larsen; Jacques Robert (1 December 2005). Cancérologie fondamentale. John Libbey Eurotext. pp. 36–37. ISBN 978-2-7420-0564-2.
- David Moitet (25 July 2013). Apoptose. Editions Prisma. ISBN 978-2-8195-0120-6.
- Robert R. Lauwerys; Robert Lauwerys (2007). Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles. Elsevier Masson. pp. 56–. ISBN 978-2-294-01418-5.
- Jean-Louis Ader; François Carré (2006). Physiologie générale. Elsevier Masson. pp. 43–44. ISBN 978-2-294-02052-0.
Last modified: 12 novembre, 2018