Introduction:

La toxicité chronique regroupe l’ensemble des effets délétères liés à des expositions répétées à des faibles doses pendant une longue période de temps, elle est souvent insidieuse et sa révélation est souvent brutale sans aucun symptôme d’alarme, elle peut être réversible ou non ,elle fait intervenir l’un ou l’autre des deux mécanismes ci-après :

Toxicité chronique due à l’accumulation de la dose

Le toxique s’accumule dans l’organisme c’est à dire que la quantité éliminée est inférieure à la quantité absorbée. La concentration du toxique dans l’organisme augmente progressivement jusqu’à l’obtention d’une quantité suffisante pour engendrer des manifestations cliniques.

Exemple de toxiques cumulatifs :

Les métaux : Pb, Cd, les non métaux : Arsenic, Fluore, Insecticide organochloré (DDT).

Figure 1 : toxicité chronique due à une accumulation de la dose

Facteurs favorisant l’accumulation des toxiques dans l’organisme

  • Facteurs physiques: ↑ de la liposolubilité.
  • Facteurs chimiques : Exemple: l’affinité de fluor pour le calcium. Affinité toxiques thioloprives pour les groupements thiols des protéines soufrées (telles que la kératine) des phanères.
  • Facteurs biologiques: action néphrotoxique de certains métaux lourds tel que le mercure qui entravent ainsi leur propre site d’élimination par voie rénale.

Certains toxiques s’accumulent dans l’organisme sans entraîner aucun effet qu’après relargage dans des conditions précises, par exemple, le DTT qui s’accumule au niveau des tissus adipeux et qui est relargué pendant les périodes de jeun ce qui va engendrer les effets toxiques sur le système nerveux central. Le cadmium stocké au niveau de foie pourrait être libéré suite à des atteintes hépatiques favorisant ainsi des lésions tubulaires rénales.

Toxicité due à l’accumulation des effets

Le toxique ne se dépose pas et ne s’accumule pas dans l’organisme, alors que les effets de l’exposition répétée à ce toxique s’additionnent elle est souvent irréversible et indépendante de la dose.

Ex : intoxication chronique au disulfure de carbone « CS2 ». n-hexane (et ses métabolites) qui endommage les cellules nerveuses des orteils et des doigts.

Figure 2: toxicité chronique due à une sommation d’effets toxiques

Remarque: Il faut faire la distinction entre une exposition aiguë ou chronique et des effets aiguës ou chroniques :

  • Une exposition aiguë entraîne un effet persistant:

Ex : une seule dose de triorthocrésylphosphate (TOCP) produit chez l’homme, une lésion nerveuse permanente.

  • Une exposition chronique entraîne un effet aigu:

Ex : des rats exposés au DDT de manière prolongée, en quantité croissante sans aucune altération métabolique apparente. Soumettre ces animaux à un jeûne prolongé, mobilise les graisses des tissus adipeux et libère dans la circulation une quantité importante de DDT toxique pour le SNC.

Evaluation de la toxicité chronique

L’évaluation de la toxicité chronique consiste à une mise en évidence des altérations fonctionnelles et/ou morphologiques suite à l’administration réitérée d’une substance seule ou en association et établir les conditions d’apparition de ces altérations en fonction de la posologie.

Buts :

Estimer la dose sans effets toxique pour l’espèce animale étudiée (NOEL : no observed effect level);

Déterminer la dose journalière admissible (DJA);

Déterminer  les effets toxiques et les organes cibles après exposition répétée;

Déterminer si les effets sont réversibles ou irréversibles;

Définir le mécanisme d’action de la substance et d’éventuelles interactions avec d’autres substances chimiques.

 Dispositif expérimental

a) Produit à tester : il faut avoir le maximum des renseignements concernant le produit à tester : propriétés physico-chimiques, produits de dégradation.

b) L’espèce animale : Les essais sont effectués sur des animaux présentant des paramètres pharmacocinétique aussi proches que possible de ceux de l’homme.

Les essais doivent porter sur deux espèces animales dont l’une n’appartient pas  à l’ordre des rongeurs pour réduire autant que possible les erreurs d’extrapolation.

Plusieurs espèces animales sont utilisées mais le rat et le chien reste les deux animaux de choix suivis des primates. Les souris sont moins utilisées.

c) Voie d’administration : La voie d’administration est celle prévue en clinique (médicament) ou la voie de pénétration dans l’organisme (produits chimiques). Lorsque le produit est à pénétration orale il est incorporé aux nourritures ou dans l’eau potable.

Il existe des applications cutanées, des expositions par inhalation et des administrations par voies parentérales correspondants à des applications des produits industriels et à usage agricole et certains médicaments.

d) Dose :

Trois doses différentes sont utilisées:

une dose forte : entraîne une toxicité pour les organes cibles.

une dose faible : entraîne l’effet pharmacodynamique et thérapeutique.

une dose moyenne : qui est la moyenne géométrique entre les deux doses.

e) Constitution des lots : Chaque lot expérimental et le lot témoin comprend un nombre identique de males et de femelles, généralement entre 40 – 100 individus pour les rats, un nombre plus faible des chien et des primates est admis. Généralement on aura un nombre de 10/sexe /dose.

f) durée d’observation : La durée des études est généralement de 2 ans chez le rat, les chiens et les primates peuvent être maintenus sept ans ou plus.

g) Signes recherché : Les animaux son observés avant l’essai et au cours des études:

Sur le plan clinique : l’aspect le comportement le poids corporel consommation de nourriture et de boissons

Sur le plan biologique : selon l’impact on peut faire :

Paramètres biochimiques:

Inhibition des enzymes (action des ester organophosphorés sur l’acétylcholine estérase)

Libération des enzymes tissulaires dans la circulation

Biologie courante

Sang : FNS ,hémogramme ,urée ,créatinine, BRB, cholestérol…

Urines : sucres , albumine, sédiment etc.

Examens fonctionnels (Tests physiologiques) : Irritants pulmonaires : EFP « épreuves fonctionnelles pulmonaires ».

Fonction rénale.

ECG, EEG

Examen post mortem : Tous les animaux morts doivent être autopsiés, même les survivants doivent être sacrifiés à la fin des études et examinés, et les organes seront pesés. Tout organe présentant une anomalie doit être soumis à un examen histologique.

Etudes spéciales

Un cas spéciale de la toxicité chronique ;c’est le cancer d’où l’intérêt des essais de cancerogénicité ainsi que la mutagénicité et la génotoxicité.

Etude de la mutagenèse 

Définition

Mutation : est une modification qui se produit dans le matériel génétique de la cellule, l’ADN.

Une mutation dans une cellule germinale est suffisante pour induire un effet nocif héréditaire, tandis qu’une mutation dans une cellule somatique indique le potentiel de mutagénicité des cellules germinales ou de cancérogénicité.

→   Une proportion importante des substances mutagènes  sont également cancérogènes (95%).

Différents types de mutations

Les mutations géniques : ce sont des modifications de la structure de la molécule d’ADN à l’intérieur d’un même gêne.

Les aberrations chromosomiques : elles se manifestent par des modifications du nombre (augmentation ou diminution) ou de la structure des chromosomes.

Les principaux tests:

Tests de mutations géniques:

Le Test D’Ames : Mutations géniques sur locus hypoxanthine-guanine phosphoribosyltransferase (HGPRTase)

Tests de mutations chromosomiques

Test du micronoyau (MN)

Test des aberrations chromosomiques

Altérations primaires de l’ADN:

Test des échanges entre chromatides sœurs

Test des Comètes

Détection Des Adduits

Etude de la cancérogenèse :

Processus néoplasique, qui est l’ensemble de phénomènes  qui conduisent à la transformation  d’un tissu normal en tissu cancéreux.

 Indications :

Les effets cancérogènes doivent être recherchés :

  • pour les produits qui présentent une analogie structurale étroite avec les composés reconnus cancérogènes ;
  • les produits qui, lors de l’étude toxicologique à long terme, ont provoqué des manifestations suspectes
  • pour les produits ayant donnés des résultats douteux aux tests de mutagenèse ou à d’autre tests de court terme.
  • pour les substances entrant dans la composition des médicaments susceptibles d’être administrés à vie (les antihypertenseurs, les antidiabétiques oraux…).
  • Parmi les substances reconnues cancérogènes chez l’homme, on compte de nombreuses molécules industrielles comme le benzene, chlorure de venyle

Méthodes d’evaluation de la cancérogenèse des substances chimiques

Méthodes épidémiologiques:

La découverte d’une augmentation de la prévalence de cancers parmi les travailleurs exposés pendant de nombreuses années à certains corps chimiques a permis de démontrer leur activités cancérogène chez l’homme

 Limites:

  • La preuve n’est fournie qu’après de nombreuses années d’exposition
  • Les travailleurs sont exposés à de multiples substances au cours de leur vie professionnelle
  • L’interférence de facteurs extra-professionnels (tabac, alcool, alimentation)

Méthodes expérimentales :

Test classique in vivo 

  • Administration prolongée d’une dose de produit à des animaux de laboratoire durant la vie entière puis :Examens macroscopique et microscopique des tissus d’animaux en post mortem à la recherche de tumeurs et les résultats seront comparer à un groupe témoin de même sexe.

Tests rapides :

Tests rapides d’inductions des tumeurs :

On réduit dans ce cas la période de latence avant l’apparition des tumeurs (emploi d’animaux nouveau-née).

  • Tests rapides prédictifs :

Ce sont des tests dont le résultat n’est pas nécessairement le développement de tumeurs mais de transformations cellulaires et de mutations

  • Relation entre le pouvoir mutagène et le pouvoir cancérogène :

Un enchaînement génotoxicité /lésion/mutation/cancérisation est dans la majorité des cas impliqué dans le développement du cancer pour cette raison les tests de génotoxicité et de mutagénicité peuvent être utilisés comme tests rapides et prédictifs d’une activité cancérigène.

Études sur les fonctions de reproduction

Etude in vivo

  • Les xénobiotique peuvent exercer des effets toxiques à différents niveau du processus de reproduction:
  • Action sur la fécondation (gamètes males et femelles)
  • Action sur l’embryon et le fœtus
  • Action lors de la période péri- et post-natale « accouchement, développement postnatal, lactation »
  • Donc I’ étude des fonctions de reproduction se divisait en trois segments:

Segment I: étude de fertilité et du développement embryonnaire précoce

Traitement  pendant la gamétogenèse jusque : accouplement pour males  Nidation pour femelles

On apprécie l’effets néfastes sur le comportement sexuel, les différents aspects de la spermatogenèse, de l’ovogenèse ou sur l’activité hormonale

Segment II: Etude du développement embryofoetal , d’embryofoetotoxicité et de tératogénèse

Segment III: étude du développement péri et post natale (mise bas et allaitement )

Cette étude a pour but de déceler les perturbations de la croissance du fœtus, de la parturition et de la lactation.

En pratique l’embryotoxicité  présente deux manifestations principales : L’embryolétalité et la teratogénécité

L’embryolétalité: Se traduit par la mort de l’embryon ou du fœtus. Elle intervient quand le produit a pu exercer sa toxicité pendant la blastogenèse. Le risque d’embryolétalité diminue avec l’âge de la grossesse. La teratogénécité : correspondent à l’apparition de malformations congénitales au cours du développement embryonnaire. L’exemple le plus dramatique des effets tératogènes est celui du Thalidomide*: médicament doué de propriété sédatives, anxiolytiques, antinauséeuses. Au début des années 1960, dans plusieurs pays européens et au Japon ; sont nés environ 10 000 enfants porteurs de malformations caractéristiques telles que :

  • Phocomélies (implantation directe des mains ou de pieds sur le tronc)
  • Amelies (absence de membres) souvent associées à des malformations cardiaques.

Leurs mères avaient toutes été traitées par le Thalidomide* pendant le premier trimestre de leur  grossesse.

Méthodes alternatives : in vitro

Culture d’embryons/ Culture d’organes /Culture de cellules. L’intérêt est la possibilité d’utiliser des espèces non mammifères, diminution du nombre d’animaux utilisé, diminution de la durée requise pour les essais.

  • Limite: ne peuvent assurer l’absence d’effet. Ceux sont des études préliminaires (pré screening)

Extrapolation à l’Homme

En générale, l’espèce humaine est qualitativement similaire aux autres animaux .Dans la réponse aux molécules toxiques cette similitude est à la base de l’extrapolation des résultats obtenus sur animaux mais il faut signaler qu’il y’a des différences quantitatives marquées.

Afin de transposer les valeurs à l’homme des facteurs de sécurité sont appliquées aux valeurs obtenues expérimentalement.

1) Dose journalière admissible (DJA) 

C’est la dose d’un produit qui peut être ingérée journellement par un individu pendant sa vie entière sans inconvénients prévisible pour sa santé.

2) Dose sans effet DES (NOEL : no observed effect level) :

c’est la dose maximale n’induisant aucun signe de toxicité dans l’espèces animale la plus sensible et la plus appropriée et en utilisant l’indicateur de toxicité le plus sensible.

3)  Facteur de sécurité :

Lors de l’extrapolation DSE sur animal à la DJA chez l’Homme un facteur de sécurité de 100 a été proposé. Ce facteur est destiné à compenser les différences de sensibilité entre les espèces, à tenir compte des larges variations de sensibilité à l’intérieur de la population humaine.

Les enquêtes épidémiologiques

Dans le cas ou la mise en évidence de la relation cause à effet entre un produit et le développement d’un état pathologique est difficile (ex : polluant d’air) et que l’expérimentation animale est inopérante (durée des essais  qui ne dépassent pas les 2 à 3 ans) alors que parfois l’homme est exposé à un toxique pendant toute sa vie, des enquêtes épidémiologiques seront requises

1)  Observation des travailleurs :

Quand une substance chimique est utilisée régulièrement dans l’industrie

Il faut évaluer :

  • la contamination de l’ambiance de travail et l’intensité d’exposition des travailleurs.
  • l’application régulière des examens cliniques, biochimiques, et comportementaux.

Pour bien apprécier le risque d’exposition une étude épidémiologique sera nécessaire en suivant différentes démarches :

  • par comparaison de deux cohortes (populations) étude cas-témoin
  • études prospectives ou rétrospectives sur la base de dossiers médicaux
  • études transversales répétées de différents groupes de sujets exposés et témoins

2) Investigations sur volontaires :

Pour des raisons éthiques évidentes, ces études ne peuvent être réalisées que si les mêmes résultats ne peuvent être obtenus par d’autres moyens et dans des circonstances où le risque pour les volontaires peut raisonnablement être estimé comme non existant.

Conclusion

Vue les différences de sensibilités entre les animaux et l’homme ainsi que les variations interindividuelles existants au sein de l’espèce humaine les recherches toxicologiques et malgré les progrès et la mise en œuvre d’examens de plus en plus nombreux incorporés dans les protocoles d’essais à long terme, restent insuffisants et nécessitent des études supplémentaires pour élargir nos connaissances sur la nature de la toxicité et les mécanismes d’actions des substances chimiques.

Was this article helpful?
YesNo

Laisser un commentaire

Close Search Window

En savoir plus sur Analytical Toxicology

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading