L’hémoglobine, dans le globule rouge ou dans le plasma, a la particularité de s’auto-oxyder ou de s’oxyder sous l’action de différents agents chimiques ou physiques endogènes ou exogènes en formant la méthémoglobine.
L’auto-oxydation/oxydation de l’hémoglobine est normale et quotidienne. Elle est nécessaire puisqu’elle constitue la première étape du catabolisme physiologique de cette molécule dans le plasma et dans les globules rouges retournés à la moelle osseuse pour y être dégradés. En revanche, dans le globule rouge circulant, le phénomène est à l’origine d’une diminution du transport de l’oxygène et peut aboutir à des méthémoglobinémies. Pour réguler cette auto-oxydation/oxydation, le globule rouge possède de nombreux systèmes enzymatiques ou chimiques, anti-oxydants ou réducteurs, permettant de maintenir le taux de méthémoglobine circulante à une valeur voisine de 1 % chez l’adulte. Mais sous l’effet de certaines substances oxydantes médicamenteuse (antipyrine, benzocaïne, sulfamides, phénacétine,acétanilide, trinitrine, quinine , poppers…) , à usage industriel ( polyphénols, hydrazines, aniline, toluidine, nitrobenzène) ou de ménage (trichlorocarbaniline) ou encore des aliments contaminés par des agents oxydants (chlorates, nitrites, nitrates)
Rappel physiologique
L’hémoglobine de l’adulte (Hb) est une chromoprotéine constituée de quatre sous-unités (alpha2beta2), composées chacune d’une fraction protéique, la globine, de type alpha (141 acides aminés) ou de type beta (146 acides aminés) et d’un centre actif, l’hème. Celui-ci, formé d’une protoporphyrine IX et d’un atome de fer ferreux apolaire, est logé dans une poche hydrophobe « aménagée » dans la globine. L’hème est fortement lié à la globine par une liaison covalente avec l’histidine proximale F8, par des liaisons hydrogènes avec quelques acides aminés (alphaVal93, betaVal94) et par environ 80 interactions hydrophobes. L’atome de fer possède six liaisons de coordinance, une avec chacun des atomes d’azote des quatre noyaux pyrrole de la protoporphyrine, soit quatre liaisons avec la protoporphyrine, une avec un atome d’azote du cycle imidazole de l’histidine proximale F8 et enfin une sixième qui permet de fixer réversiblement une molécule d’oxygène diatomique en fonction de la pression partielle en oxygène (pO2). Cette fixation est régulée par une molécule effectrice, le 2,3 diphosphoglycérate (2,3 DPG), dont le site d’action est une poche située au centre du tétramère d’hémoglobine et délimitée par les quatre sous-unités. Cette molécule de 2,3 DPG régule la fixation d’une molécule d’oxygène sur chacun des quatre atomes de fer ferreux du tétramère d’hémoglobine. Les atomes de fer étant les seuls aptes à fixer l’oxygène, leur état d’oxydation est d’une importance fondamentale pour la fonction oxyphorique de l’hémoglobine.
Dans le cas des substituts sanguins à base d’hémoglobine, le tétramère a été soit extrait du globule rouge, humain ou bovin, pour subir ensuite différentes modifications chimiques, soit produit par génie génétique. Les hémoglobines ainsi obtenues sont stabilisées dans leur conformation tétramérique, ont une masse moléculaire comprise entre 64 et 400 kDa, et possèdent ainsi une demi-vie plasmatique élevée (8 à 24 h). Par ailleurs, l’affinité pour l’oxygène de l’hémoglobine extraite du globule rouge étant très fortement accrue par suite de la perte du 2,3 DPG au cours de la préparation des substituts, les modifications apportées chimiquement ou génétiquement permettent au tétramère de retrouver une affinité plus physiologique (P50 = 22 à 30 mmHg) et de présenter des caractéristiques oxyphoriques proches de celles de l’hémoglobine intra-érythrocytaire.
Méthémoglobine, définition
La méthémoglobine est une forme oxydée d’hémoglobine dont le fer ferreux divalent (II) est oxydé à l’état ferrique trivalent (III), ce qui rend la molécule incapable de fixer l’oxygène . C’est donc une hémoglobine non fonctionnelle.
Ce dérivé oxydé de l’Hb se forme de manière permanente à l’intérieur du globule rouge. Cette oxydation est physiologique mais la proportion reste normalement inferieur à 2% car la méthémoglobine réductase 1 réduit rapidement la méthémoglobine.
Ceci dit ces concentrations peuvent atteindre des concentrations pathologiques sous l’action d’un certain nombre de produits chimiques (agents méthémoglobinisants) => Acquise
Ou due a un deficit en systemes enzymatiques reducteurs ou encore une mutation de l’hemoglobine => méthémoglobinémie congénitale récessive
Caractéristiques
- Caractéristiques spectrales : MetHb a 2 max d’absorption (500-632 nm) # HbO2 (540-577 nm)
- A pH acide combinaison avec :
- CN– : Cyanméthémoglobine
- H2S : Sulfméthémoglobine
- F–: Fluorométhémoglobinse
- NO2: Nitrosométhémoglobine
Classification des méthémoglobinisants
Selon la nature chimique:
- Composés organiques
- Composés minéraux
Selon le mécanisme d’action:
- Action directe
- Action indirecte
Selon l’origine :
- Médicamenteuse
- Environnementale
Selon la nature chimique :
Composés organiques:
Nitrites:
Origine:
Biosynthèse endogène: à partir de « l’Arginine» + réduction des nitrates par les bacteries intestinales
Sources exogènes : Engrais contamination des Végétaux + Animaux (viandes) + Eaux des nappes phréatiques + cours d’eau (boissons+poissons)
- Doses journalières admissibles : Basées sur la prévention d’un risque non cancérigène :
- Nitrates: 0,84 mg-N/kg/j (3,7 mg de NO3/kg/j).
- Nitrites :0,02 mg-N/kg/j (0,06 mg de NO2/kg/j).
Ne s’applique pas aux nourrissons de moins de 3mois
- Normes européennes de l’eau potable , OMS (Genève 1970) :
- Recommandé: < 50 mg de NO3/l
- Acceptable: 50 à 100 mg de NO3 /l.
- Chlorates :
Chlorate de sodium (NaClO3) : était principalement utilisé comme herbicide à une concentration de 60 à 90 %.
Chlorate de potassium (KClO3) :Puissants oxydants inflammables et explosifs
Présents dans: Colorants,Explosifs,Têtes d’allumette…
Produit | Dose létale (adulte) | Dose létale (enfant) |
Chlorate de potassium | 10-15 g | 1 g |
Chlorate de sodium | 7 g | _ |
Ce sont de puissants oxydants agissant en 3 réactions principales :
- Oxydation de l’hémoglobine
- Dénaturation de l’hémoglobine
- Altération de la membrane cellulaire
Toxicité : MÉTHÉMOGLOBINÉMIE intense avec hémolyse
– Causticité digestive Þ nausées , vomissements et douleurs épigastriques
– Tubulopathie anurique aigue
– Nécrose hépatique
3- KMnO4 :
> Toxicité hématologique:
Méthémoglobinémie intense avec hémolyse.
> Causticité digestive :
Nausées , vomissements et douleurs bucopharyngées.
Dose létale : 10 – 20 grammes.
- Oxydants organiques :
- Dérivés nitrés :
Nitrobenzéne : synthèse organique , peintures , vernis …
Dinitrobenzéne : colorants, explosifs
Nitroglycérine : synthèse des colorants , explosifs, vasodilatateur coronarien …
Dérivés nitrés du toluéne : industrie des explosifs et des teintures
Dérivés aminés aromatiques : dérivés de l’aniline
Origine :
- médicaments (phénacétine, benzocaïne …)
- industrie (aniline ® colorants, toluidine …)
- produits ménagers (trichlorocarbanilide …)
Le mécanisme d’action toxique est essentiellement une bioactivation (oxydation hépatique) responsable de la formation d’un agent méthémoglobinisant appelé phénylhydroxylamine (hydroxyaniline).
Autres dérivés organiques :
- Naphtalène : insecticide (boules de naphtaline).
- p-dichlorobenzène : antimites.
- Sulfamides : les plus méthémoglobinisants ont été abandonnés (ex : sulfanilamide).
- Primaquine : un traitement antipaludéen associé à un déficit en G6PD conduit à une méthémoglobinémie forte et une hémolyse.
- Bleu de méthylène : antidote antiméthémoglobine mais méthémoglobinisant si surdosage ou déficit G6PD
- Sulfones : antilépreux (Dapsone). (cf. Méthémoglobinémie et Sulfhémoglobinémie).
La Méthémoglobinémie doit être recherchée et quantifiée systématiquement au 8e jour de traitement. L’anémie hémolytique est plus rare et survient pour des posologies supérieures ou égales à 200 mg/jour; ainsi que chez les sujets déficients en G6PD recevant au moins 50 mg/jour.
Réduction de la méthémoglobine
En raison de l’oxydation spontanée de l’hémoglobine, les érythrocytes possèdent de multiples mécanismes réducteurs pour maintenir la concentration normale de méthémoglobine (<2%).
Tous ces systèmes concourent au don d’un électron à l’atome de fer oxydé (réduction du fer ferrique en fer ferrique) et donc à une réduction de ce dernier.
Ces mécanismes physiologiques de réduction sont couplés au mécanisme de la glycolyse érythrocytaire transforment la methHb en Hb. Cette transformation nécessite un apport d’hydrogène , amené par des systèmes enzymatiques ayant comme coenzyme des transporteurs type NAD ou NADP, recevant leur hydrogène au cours des réaction de déshydrogénation de la glycolyse érythrocytaire qui se fait essentiellement par deux voies :
Voie NADH-dépendante
C’est la principale voie liée à la glycolyse anaérobie, au cours de laquelle le NAD (Nicotinamide Adénine Dinucléotide) est réduit en NADH2, ce dernier cède ses électrons à une enzyme, la NADH-cyt-b5-réductase ou MetHb-réductase = Diaphorèse I. la Diaphorase I réduite réagit directement sut la MetHb en transformant le Fe+++ en Fe++.
Voie NADPH-dépendante
C’est une voie accessoire qui ne peut être activé qu’en présence de transporteurs intermédiaires d’électrons comme le Bleu de méthylène.
Elle est liée à la glycolyse aérobie au cours de laquelle le NADP est réduit en NADPH2. NADPH2 réduit le NADPH-MetHb-réductase ou DIAPHORASE II. La Diaphorase II réduite transforme le Bleu de Méthylène en LeucoBleu de Méthylène, qui à son tour réduit la MetHb.
Cette voie est non fonctionnelle chez les déficients en G6PD (essentielle pour le shunt des pentoses).
Voie du glutathion
Voie secondaire. Le glutathion réduit sous l’action du NADPH2, réduit directement la MetHb.
Voie de l’acide ascorbique
L’acide ascorbique réduit directement la MetHb. Il sera oxydé en acide Déhydro-ascorbique qui sera réduit par le glutathion réduit.
Mécanisme d’action toxique
Effets des methémoglobinisants : oxydants
- Oxydation Hb ⇒ formation MetHb
- Peroxydation lipidique ⇒ lyse membrane
- Dénaturation et précipitation Hb : formation de corps de Heinz, liaison covalente à la membrane, et lyse cellulaire responsable d’une hémolyse souvent associée à méthémoglobinurie.
Effets de l’oxydation du fer de l’hémoglobine : MetHb
– Oxydation partielle du fer
– Espèces mixtes (a3+b2+)2 ou (a2+b3+)2
– Diminution de l’ affinité Hb pour O2
-Déplacement a gauche de la courbe dissociation HbO2
⇒ Relargage O2
⇒ HYPOXIE
Symptomatologie des intoxications
Nature et intensité des symptômes : selon taux MetHb / Hb totale
Le plus souvent , une méthémoglobinémie associée à une hémolyse.
Facteurs de risque : favorisent la production de MetHb
- Alcool : augmente l’oxydation Hb en MetHb par diminution de la voie de réduction NAD-dépendante (voie principale – diaphorase I).
- Nouveaux-nés et prématurés : Hb foetale plus sensible oxydation et une faible activité MetHb réductase.
- Génétique : les déficits en G6PD sont les plus a craindre car moins de NADPH,H ; ainsi le déficit des trois voies
- Etat physiopathologique
Conduite a tenir et Traitement
Traitement symptomatique
Maintien des fonctions vitales
(Ex : Oxygénothérapie et Anticonvulsivants)
- Traitement évacuateur : lavage gastrique (si possible : ingestion), lavage cutané.
- Traitement spécifique : antidotes.
Bleu de méthylène (BM)
– Mode d’action : BM réduit (leucobleu) = donneur d’électrons, réduction MetHb par diaphorase II et GSH
– Indications : MetHb > 40%
– Contre-indications : déficit G6PD, allergie BM
– Administration : IV lente solution BM à 1% (5-25ml)
– Effets IIaires (surdosage) : anxiété, tremblements,dyspnée, hypertension, coloration peau (cyanose)
Acide ascorbique (vitamine C)
– Mode d’action : réduction MetHb
– Utilisation : moins actif que BM mais non toxique
– Indications : methémoglobinémies légères
– Administration : IV de 1g à répéter
Traitement épurateur
Exsanguino-transfusion : Si hémolyse associée.
Analyse
Méthodes indirectes
- Gaz du sang
Méthodes directes
Non invasives
Oxymétrie de pouls : « Saturation pulsée de l’hémoglobine en oxygène, ou SpO2 »
Principe de la mesure
Repose sur l’émission de deux lumières (rouge et infrarouge), respectivement de 660 et 940 nm, et de la mesure de leur absorption par le flux pulsatile.
L’absorption de la lumière rouge et infrarouge sera variable selon qu’elle rencontrera de l’hémoglobine réduite (Hb) non oxygénée ou de l’oxyhémoglobine (HbO2).
Invasives
Co-oxymétrie
Méthode la plus précise permet la mesure directe de l’Absorbance de l’Hemoglobine sous toutes ses formes : HbO2, COHb, MetHB, par balayage a différentes longueurs d’ondes dans le sang total.
Spectrophotométrie
Méthode de KAPLAN
Le principe est basé sur le fait que la MetHb et HbO2 ont 2 max d’absorption différents
On effecue 2 mesures :
- DO 525 nm : HbO2 et MetHb absorbent de la même façon
- DO 577 nm : différence la plus grande
Rapport :
DO 577 nm / DO 525 nm → % MetHb
Méthode d’EVELLYN-MALLOY
La technique consiste à mesurer le pourcentage de la methémoglobine dans le sang:
le rapport entre la quantité de la méthémoglobine sur la quantité de l’hémoglobine totale.
Déterminer la quantité de la méthémoglobine
Déterminer la quantité de l’hémoglobine totale
Conclusion
Les mécanismes par lesquels l’hémoglobine peut s’oxyder et le potentiel réducteur puissant dont il dispose, sont complexes et divers. Les connaissances actuelles de ces mécanismes permettent de traiter la plupart des méthémoglobinémies acquises (methemoglobinisants) et quelques méthémoglobinémies constitutionnelles.
La méthémoglobinémie est rare aujourd’hui dans la plupart des pays industrialisés, elle représente par contre un risque dans les pays en développement. Il n’y a pas d’estimation fiable de l’ampleur du problème au niveau mondial. L’OMS recueille actuellement des informations en vue de fournir cette estimation.
Last modified: 29 novembre, 2016